Bogdan le roumain

 J’avais profité de cette matinée ensoleillée, celle devançant les jours de pluie annoncés, pour retourner gambader sur les chemins désertés du grand Parc d’Oka.

Des kilomètres de sentiers déneigés avaient défilé sous mes pieds. Le vent était frais et soufflait de l’est, gardant mon odeur hors de portée de l’olfaction du chevreuil se régalant de pousses vertes à l’orée du bois. J’en profitai pour l’espionner à découvert, avant de tenter vers lui (elle…) quelques pas en catimini, m’immobilisant dès qu’il (elle…) levait la tête vers moi.

Jusqu’à ce qu’il (elle…) réalise qu’il (elle…) était victime d’une intrusion… Fuite à travers bois…

Après avoir suffisamment vagabondé, j’allai m’asseoir en avant du chalet. Sur le lac, un kite surfer planait sur la tête des vagues, sa voile pleine à ras bord d’air frigorifiant. Pendant quelques minutes, j’observai son ballet coloré puis je me levai, me déplaçant encore plus à l’ouest, vers « mon » banc-de-méditation perdu entre les longs conifères faisant face au lac. L’athlète, étant toujours dans ma ligne de mire, je poursuivis ses déambulations aquatiques, jusqu’à… une première chute!

Je le voyais travailler fort pour remettre sa voilure dans le vent. Il y parvint après quelques minutes, fit à peine quelques mètres pour se retrouver, une fois de plus, le bec à l’eau.

Le temps passa. Encore. Et encore. Je voyais parfois se profiler un petit point noir que j’imaginais son corps tentant de reprendre pieds sur la planche avant de remettre sa voile au vent.

Et le temps passa. Encore. Et encore. Et encore…

J’avais froid juste à le regarder! J’imaginais la température de l’eau à ce temps-ci de l’année, les glaces à peine parties depuis une douzaine de jours. La Drama Queen qui habite mon corps à mon insu (! ...), commença à s’inquiéter : hypothermie (fait vécu); syncope vagale (fait vécu); noyade (fait vécu) …

Ça faisait plus d’une quinzaine de minutes qu’il bataillait avec l’Univers Infini… Je ne voulais pas assister à une mort en direct : je partis chercher de l’aide. Ou du réconfort. Ou…

Retournant sur mes pas, j’aperçus une technicienne du Parc affairée à gérer quelques bernaches insoumises. Je me dirigeai vers elle et lui partageai observations et craintes. Qu’elle prit au sérieux. Grand merci! Elle contacta son patron, m’assura qu’elle resterait aux aguets pour la prochaine demi-heure.

À demie... rassurée, je quittai. Mais…

Mais…

Après avoir avalé un frugal dîner chez-moi, gêne-pas-gêne, je refis la route menant au Parc. Il fallait que j’en aie le cœur net.

À la guérite, Mme Marie-Michèle me rassure : aucune alarme n’a été donnée dans la dernière heure. Même qu’elle avait jasé avec le surfeur le matin même, et apparemment, il avait un Plan A, un B, et même un C.

J’arrive dans le stationnement presque désert et je vois…  Je vois… 

Ouep : je vois un Homme, occupé à démêler les cordes d’une voile! Colorée! Sans gêne… je m’approchai et l’interpellai…

Ça duré une heure! Notre jase! C’était bien lui, le presque-noyé-dans-ma-tête! Il a passé une heure à l’eau et a réussi à revenir sur la berge à l’aide de palmes glissés en « au-cas-où » dans un sac à dos fait maison, tirant, par dessus le marché, la voile remplie d’eau derrière lui.

Il avait, me raconta-t-il, l’expérience d’un 4 heures passées dans l’eau à pareille date l’an dernier. Il savait que son "dry suit" était "top nutch" et que ses palmes le ramèneraient même si au pire, il devait abandonner sa voilure aux flots.

Soulagée j’étais vous dites! Ohhh que oui! Et je lui ai dit. Et redit. Parce que...

... Après cette finalité, je savais qu’il rentrerait chez-lui, le soir venu…

Ainsi soit-il!...

Parc d'Oka, avril 2023

 

Commentaires

Posts les plus consultés de ce blog

9 ans déjà…

CD comme dans… Claude Dubois

La parabole de la paille et de la poutre