Jour 33

Histoire de ne pas perdre la « bulle » -

La journée s’annonçait chaude et humide sur le Chemin Principal de cette petite ville nichée en montagne. Les nuages fuyaient tranquillement, se frayant chemin éphémère dans l’immensité bleutée.

La volière naturelle dans la cour arrière, était en pleine effervescence. Ici des cris brefs; là des sifflements allongés. Un écureuil au ventre blanc, jouait à saute-mouton de branche en branche dans le noisetier qui peinait sa survie.

L’aménagement extérieur était parfait. Sur l’Adirondack à la tête fracturée, j’avais déposé deux gros coussins, ce qui la rendait tout à coup, inestinablement confortable.

Sur la petite table carrée, une flamme dansait près du cœur d’un inuksuk vitrifié. Le café refroidissait dans la tasse qui rappelait ce projet d’aller découvrir un jour, Paris et sa tour.

Moment de grâce.

Il était beaucoup trop tôt. Le bruit incessant de la circulation avait rompu le rêve où je m’apprêtais à sauter dans un kayak pour pagayer une eau miroitante.

À force d’essayer, sans succès, de retrouver ces compagnons de fortune, j’avais tiré drap et couverture sur la nuit.

Assise sur la galerie, l’envie me prit de raconter les jours passés. Sortir la plume en bois de rose de sa torpeur et la laisser glisser sur pages lignées. J’étais partie…

« 15 mai 2021 - … J’avais longuement hésité à braver l’interdit, pour finir par sauter dedans à pieds joints. Pandémie ou pas, mon cœur de mère m’avait fait prendre la route vers l’Abitibi.

Cette dernière m’avait paru comme goulée de liberté après ce long hiver confiné. Même le sandwich apporté avait un goût raffiné, dégusté sans façon dans le stationnement de l’église à St-Jean-sur-le-lac.

Sans ambages, j’avais posé bagages chez Fils et Fille, le temps d’une dizaine.

Quand je fus repu du sentiment de me sentir utile, j’étais revenue à la maison, sans tambour ni trompette.

Le lendemain, je reprenais le bénévolat à l’Aide Alimentaire… »

 

« 25 mai 2021 - … Je ne me souviens pas exactement quand je me rendis compte que quelque chose clochait. Je me rappelle cependant, avoir mentionné à mon jeune collègue, qu’il y avait du bizarre dans ma vision.

« Je ne sais pas ce que j’ai ce matin mais je ne vois pas comme d’habitude… » Je fis les heures sans autre questionnement.

Le midi venu, chez-moi, la peur me prit : « Et si c’était grave? » J’avais beau bouger les yeux de droite à gauche, dans celui de droit une ombre planait.

Un flou stagnait.

Appel à une clinique d’optométrie du coin. « C’est drôle mais, on dirait que je suis en train de perdre la vue. » dis-je à la préposée. « Madame, ce n’est pas drôle du tout ça! Présentez-vous. Il vous en coûtera $60 pour l’urgence. » Je m’en foutais! Je voulais juste qu’on me dise ce qui se tramait pour en avoir le cœur net.

Bref examen. L’optométriste est empathique et sympathique. Elle me retourne chez-moi, le temps de me trouver un accompagnateur car elle doit dilater mes pupilles. « Chère Voisine, svp, viendrais-tu me reconduire? »

Chemin inverse. Examen approfondi. Diagnostic. « C’est un décollement de la rétine. Une urgence. J’appelle l’ophtalmologiste de garde. Je dois vous référer à St-Jérôme, le centre régional. » me dit la Dre. L’ophtalmo de garde décrète que l’urgence peut attendre au lendemain matin 8h mais « qu’Elle (c’est moi ça!) s’attende à être transférée à Montréal. »

C’est exactement ce qui se produisit.

On chercha à joindre le rétinologue (tiens? Ça existe ça?) de garde. On le trouva à l’hôpital Maisonneuve Rosemont. « Qu’Elle vienne! »

« Elle »… s’était toujours moi! »

 

« 26 mai 2021 - 11h am – Je me présente accompagnée de mes Précieux Voisins MadJa qui se voient refoulés à l’entrée, pandémie obligeant.

Les huit heures qui suivirent, ils les passeraient dans leur van, stationnée au gros soleil. Moi, sur une petite chaise droite en plastique, comme la centaine d’autres personnes présentes. J’attendais le verdict final.

14h30 pm – Rencontre avec le Dr Rétinologue de garde. Pour la troisième fois en moins de 24 heures, on diagnostique le décollement de rétine. « C’est une urgence. » « Je dois revenir demain? » « Non Madame! On s’occupe de vous d’ici la fin de la journée. »

Bon ça, j’avoue, je commençais à en douter…

L’intervention eut lieu à la toute fin de la journée. Début de soirée serait plus exact : 19hres. La dernière patiente.

Cryothérapie et injection d’un gaz « à effet de serre non nocif pour la couche d’ozone », le C3F8 (octafluoropropane). Trente minutes plus tard, je sortais, œil bandé, tête baissée. Début du calvaire qui durera 48 heures, couchée en permanence sur le ventre, nez au matelas. S’ensuivront des jours où, 18h/24, je devrai rester coucher sur le côté, ne me levant que pour répondre aux besoins essentiels. Par chance, j’eus le support de Jeune Sœur Chérie qui débarqua le premier week-end, pour me « divertir », aller me faire une épicerie et me popoter des repas pour la semaine à venir. Généreuse. »

Voilà où j’en étais ce « Jour 33 » du 28 juin 2021! Bulle toujours présente, mon corps en disposera quand bon lui semblera, dans 5 à 7 semaines*.

Pour l’instant (2021-06-28), je ne peux toujours ni conduire, ni lire, ni marcher, ni me bercer. Mais depuis la semaine 3, je triche. Un peu. Peut-être en partie parce que le DR Rétino m’a dit, lorsque revu le 3 juin, que la rétine était recollée.

« Je vous reverrai dans un mois. » Bientôt. **

Il (le Doc) décidera de la reprise des activités physiques, de la durée de la convalescence. C’est ce grand Boss qui aura le dernier mot.

Ah oui! Le pourquoi s’est arrivé? À cause de la chirurgie pour cataracte en 2016. Aussi plate que ça!

J’ai juste pigé le mauvais numéro.

* la bulle disparut complètement le 7 juillet !!!

** je revis le rétinologue le 8 juillet

Commentaires

Anonyme a dit…
Bonne journée FITZOU!
Pourquoi jour 33?
Fitzsou a dit…
Bonjour Anonyme :P

... 33 parce qu'à cette date, c'était le trente-troisième jour post décollement de rétine!!!
J'étais toujours à respecter le 18hres/24 couchée en positions latérales ou ventrales, au repos complet avec pour seule activité, répondre aux besoins essentiels.

J'occupais donc mes journées à compter... les jours!!! ;-)

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